Figé dans le temps, Ulrick se sentit soudain très mal. Il faisait toujours tout pour protéger l'homme qui se tenait derrière lui. Il pensait très sérieusement que cela ne pourrait pas être pire mais il se trompait lourdement, si lourdement. Il avait envie de s'enfuir, honteux. Il aurait dû donner des défenses à Elijah, l'aider à affronter le monde au lieu de tout simplement le protéger. Il avait été stupide et il s'en rendait compte bien trop tard.
Dehors, les premières lueurs du jour ne tarderaient pas à blêmir les fenêtres. Ils étaient restés longtemps ici et Ulrick pensait même avoir dormi un peu. Luscka devait venir ici vers ces heures là pour ne croiser personne. Urgh, c'était bien raté. Le prince pouvait voir la tristesse et les remords dans ses yeux. Le prostitué semblait un peu vexé que le Duc ne lui accorde plus d'attention mais son client ne semblait s'en soucier.
Finalement, le Duc se détourna et Elijah s'enfuit. Un peu prit de court, Ulrick n'osa bouger tout de suite. Son corps lui semblait peser une tonne. Pourquoi avait-il fallu qu'il l'emmène dans la seule maison close que le Duc devait fréquenter. C'était certes sa préférée mais quand même, il aurait pu l'emmener ailleurs. Et peut-être bien qu'Elijah aurait moins prit de plaisir … Cinnamon n'était pas partout. Ah ! Il était torturé !
Il déglutit doucement en se disant qu'il devrait bouger. Le Duc venait de rentrer dans la chambre avec le prostitué et voilà qu'il commençait à entendre des bruits. Mais cela ressemblait plus à de la tristesse ou de la rage qu'à du plaisir.
Son sang se glaça dans ses veines quand il finit par entendre un cri, bestial et inattendu. Le cri lugubre flotta sur la maison close et tout le monde s'immobilisa. Plus aucun bruit ne perturbait le silence de la maison close, l'attente était insupportable. Finalement, comme plus rien ne venait indiquer un drame, les prostitués et les clients reprirent leurs affaires. Ulrick s'avança d'un pas avant d'effleurer la porte du bout des doigts. Luscka devait souffrir.
Oh Elijah ! Il devait se sentir tellement mal ! Le Prince ignora un frisson qui courait le long de son dos pour descendre les escaliers quatre à quatre. Il ne salua même pas la gérante qui lui souhaita un bon retour et, sitôt dehors, il fut accueilli par un vent glacial et chargé de neige. Ses yeux cherchèrent désespérément Elijah mais il ne le voyait pas. Paniqué à l'idée qu'il ait pu faire une bêtise, il s'avança un peu plus loin.
Finalement, il le retrouva dans un coin d'obscurité. Elijah avait toujours été sage. Pas de cri, pas de pleurs. Mais une tristesse infinie. Il vint l'enlacer, essayant de réchauffer son âme s'il ne pouvait le faire avec son corps. Déglutissant doucement, il passa sa main dans les cheveux couverts de neige de son frère. Elle avait recommencé à tomber à gros flocons ces derniers jours et rien ne semblait vouloir l'arrêter.
“ Sssht, ça va aller d'accord ? Tout va bien se passer. Luscka est sûrement venu ici pour se … eh bien se détendre, se changer les idées, sortir de ses recherches. S'il couche avec un prostitué c'est parce qu'il n'en a rien à foutre de le tuer par accident. ”
Mais pourquoi Luscka n'était pas venu voir Elijah s'il allait mieux ? Pourquoi ces deux hommes stupides ne pouvaient pas juste se parler. Il fronça les sourcils et grogna. Caressant la joue de son frère, il lui fit doucement relever la tête. Être plus grand qu'Elijah l'avait toujours ennuyé mais ça faisait peut-être aussi partie des raisons qui faisaient qu'il le considérerait à jamais comme quelqu'un de plus fragile que lui.
“ Demain, tu vas aller chez lui. Ou lui mander de venir dans ta chambre. Il faut résoudre ça, tu ne peux pas laisser votre dispute te dévorer de l'intérieur. D'accord Elijah ? Je suis sûr qu'il brûle d'envie de te voir. Il avait l'air tellement triste de t'avoir croisé ici… Il est vraiment stupide ! ”
Il sourit doucement et caressa les cheveux de son frère. Il n'avait peut-être pas huit mille ans comme Taesch et Rozen mais il savait des choses que jamais ces personnes ne sauraient, il en était convaincu. Il pouvait repérer l'amour au premier coup d’œil. Mais l'amour véritable, celui qui méritait qu'on meure pour lui.
Il chassa les larmes du masque blême de son frère d'un coup de pouce habile et sourit doucement. Passant de nouveau sa main dans ses cheveux, il pencha la tête sur le côté.
“ En attendant, je peux te distraire. Allons où tu veux … dans un café, au marché ou … oh je sais, une nouvelle librairie a ouvert non loin d'ici, allons y ! ”
Prenant la main de son frère, fermement, il commença à marcher, l'entraînant sans que celui-ci ne put protester un instant. Il voulait l'éloigner d'ici le plus vite possible.